mardi 21 décembre 2004

Mauvais esprit de Noyel

Cette année c'est Françoise et Benjamin qui reçoivent toute la smala. Dans leur modeste maison. On arrive à 19h, on est les premiers. Je pose mon manteau sur un dossier de chaise au hasard. Françoise fait la bise et rit nerveusement, en faisant semblant de demander si ça va bien alors qu'elle est débordée, elle court partout. "Rien n'est prêt ! Ah la la je te jure ! hihi" Benjamin s'acharne à allumer un feu de cheminée, mon père va l'aider. Allez-y les hommes, koh lanta powa ! Ma mère compatit pour Françoise, elle sait ce que c'est d'être à la fois en cuisine et au salon, elle me dit "va mettre les couverts ! aide la un peu sois gentil" Heureusement Françoise dit "non ! pas la peine ça va ! hihi"

La table est pas assez grande, il a fallu chercher la table en plastique de la véranda pour greffer un espace aux invités marginaux qui savent pas où s'assoir (eh, c'est moi ça!). Ils sont plus pauvres que Chantale et Michel, chez qui ont avait fêté Noyel l'an dernier, ça se voit. D'ailleurs on sait qu'ils ont un métier moins bien, c'est pour ça. Chez eux y'aura pas de feu d'artifice dans le jardin, le sapin est plus petit et en plastique. La bouffe est moins élaborée et dans la cuisine on a aperçu des boissons de marque inconnue. Mais bon, c'est pas ça l'important ! L'important c'est d'être tous ensemble !



20h30 : tout le monde est là, je suis épuisé par les bises. D'autant que certaines vieilles quand on les embrasse, ça sent la bave des bises précédentes et ça pue.
A la télé y'a une émission spéciale où on fête noyel au canada avec isabelle boulay. Drôle de concept hein...comme si la famille était déjà pas assez pénible, faut fêter noel avec isabelle boulay en +.
A la table des Grands y'a du champagne, et du saumon, et des huitres, et d'autres trucs dégueus. A partir de quel moment leur bouche a suffisamment été violée par la vie pour accepter ces immondices ? On dirait qu'il est de coutume quasi africaine de se forcer à aimer les choses dégueues au passage de l'âge adulte. Avant ils aimaient pas le vin, quand ils avaient 8 ans, maintenant ils aiment. Anyway...y'a pas que la bouffe qui est dégueue, y'a leurs propos salaces aussi. Fallait bien que ça parle de politique à un moment. Comme d'hab à table y'a les "leaders", ceux qui parlent fort, qui affirment tout haut leurs idées, et ceux plus timides qui disent rien et réfléchissent à ce qu'ils peuvent penser de tout ça.
Le plus véhément c'est le grand-père : "moi je te dis, TOUTES celles qui veulent mettre le voile à l'école, qui acceptent pas les règles du pays où elles sont, DEHORS ! A coups de pieds au cul dans leur pays !"
Certains rient jaune, d'autres hochent la tête.
A la table des Petits y'a du coca, des chips, et toutes les choses que j'aime. Je me déporte lentement vers cette oasis. Leur discussion est plus intéressante aussi :
- Eh tu vas avoir quoi à noel ??
- La X-box...
- Ouais ??! Eh on pourra y jouer ?!
- Nan ma mère elle veut pas...
- Pourquoi ??
- Je sais pas,elle veut pas qu'on joue aux jeux video ce soir...


Après chaque plat y'a un temps de digestion où je vais retrouver les fumeurs dans le jardin. Il fait froid, il fait nuit. Un vieil oncle vient me faire chier, il me demande où j'en suis dans mes études, ce que je veux faire. Je réponds brièvement que je sais pas, que je m'en fous. Il insiste pas, il voit bien que le courant passe pas.

Le dessert est copieux, on lance des éloges au repas, Françoise rougit et affiche un sourire fier et satisfait.

Il est l'heure du père noel, un autre tonton s'éclipse avec la connivence des Grands. Je vais assister au coulisses de l'arnaque du siècle. Ca se passe dans le garage. Il se déshabille, les femmes rient "ohhh ! quel bel homme !" Il dit qu'il a froid, il enfile le costume rouge. Ils rient parce que la barbe ne tient pas. Quelqu'un dit qu'il faut mettre de la superglue 3, j'ai honte tellement c'est pas drôle.

Je reviens au salon pour suivre le spectacle normalement. Au top, Françoise se demande à voix très haute pour se faire entendre des enfants : "JE ME DEMANDE OU EST LE PERE NOEL..."
Ils jouent tellement qu'ils n'entendent rien. Elle recommence : "DITES LES ENFANTS ! VOUS AVEZ PAS VU LE PERE NOEL ?" Elle a leur attention. Ils sont excités. "Nan !" répondent-ils en choeur. "Ben alors, il fait quoi ??" demande-t-elle, en se postant à la fenêtre. "Ah, j'ai vu quelque chose bouger dans le jardin, venez voir les enfants !" Ils rappliquent, au summum de leur excitation. Je jette un oeil par la fenêtre. Pauvre tonton qui fait le bouffon et manque de se casser la gueule dans la neige. On dégaine les camescopes et les appareils photos. Le père noel s'approche lentement. Sa hotte est un grand sac à patates. La porte s'ouvre : "Oh ! Oh ! Oh !" (il a bien retenu son texte)
Là s'est un bordel sonore de voix de mamans chaleureuses qui disent "ohhhh ! c'est le père noel !" "regardezzz ! les cadeaux !" "ohhhhh !"
Le visage du tonton est un visage foncièrement humain, qui fait peur. Les plus petits sont sérieusement traumatisés et se mettent à pleurer. Les plus âgés des petits osent l'affronter et le dépouiller de ses cadeaux. L'un d'eux dit même : "C'est Jean ! Je l'ai reconnu !" Sa mère le baillonne vite.
Le père noel reste peu, chaque seconde de présence le dévoile toujours plus, surtout quand il parle avec son accent si typique, il doit vite dégager pour préserver la magie de noel.


Pour finir les enfants ont le droit de jouer à la x-box, parce que Françoise n'ose pas leur dire non. A la bonne heure, dégagez les mioches et donnez moi la manette. Le temps passe plus vite ainsi.


Vers 2h les vieux commencent à s'en aller, ils sont fatigués. Ceux qu'on voit rarement aussi, parce qu'ils habitent loin. Vers 3h il reste le noyau dur qui s'entend bien, ils jouent aux cartes. Certains petits se sont endormis. Je m'ennuie. Je squatte le canapé, anesthésié par la télé. Je guette aussi les fins de partie, pour qu'on y aille. Mais à chaque fois ils disent "allez, la revanche !" ou "allez, la belle !" Putain...

Vers 4h je demande à ma mère quand on s'en va. "tu es fatigué ?" demande-t-elle. Je réponds ke oui. Elle décide qu'on s'en va. On rentre et je vais dormir.

Le lendemain la routine est revenue. Je me lève à 13h. J'écris ce post. Quand j'appuie sur la touche "publier", il s'en va dans les méandres informatiques et un curieux phénomène se produit, il traverse un vortex temporel et s'affiche quelques jours avant. C'est à n'y rien comprendre.