jeudi 19 octobre 2006

Heure de la plainte nocturne

Dame Psy4,

Vous pouvez êtres fiers de votre CMP où viennent s’échouer les basses gens et autres anormaux. Si vous n’étiez pas là, ils se feraient beaucoup maltraiter dans la jungle de la vie à l’extérieur. Vos locaux sont un paradis de bienveillance et de rassurement sur le monde. Un peu comme une maison de dînette grandeur nature. Vous semblez faire preuve d’une réelle empathie, ce qui doit être fort utile lorsqu’on choisit ce métier. Vous êtes très tolérants, vous apportez la tolérance absolue et idéologique, qu’on devrait pouvoir trouver partout dans la rue, mais qui s’avère être aussi rare que des pommes bleues au soudan.

Il est d’usage qu’après une avalanche de compliments on passe aux affaires obscures. Vous noterez même, en spécialistes, que le fait de commencer par le positif et de finir par le négatif favorise largement le négatif, et vous aurez vite deviné l’objet de mon écrit, mais gentiment, parce qu’entre nous, on fait tout dans la gentillesse et les sourires. Même quand on enfonce une aiguille dans le bras d’un agité à l'endroit caché de l'hôpital, on le fait doucement et en souriant comme une maman qui donne un biberon.

Il y a des choses que je ne dis qu’à vous, c’est normal vous me direz. Puisque quasiment tout est normal, héhé. C’est pour ça que je vous kiffe, même si vous êtes psychopathement dangereuse. Je m’explique, sous vos aspects « libérez-vous », « ce que vous ressentez n’est pas mauvais », vous n’êtes qu’une preneuse de notes, derrière vos lunettes les analyses fusent en secret. Et puis un jour on se retrouve attaqué par le gentil nounours que vous êtes, ça nous tombe dessus avec un tas de dossiers et de preuves, limite purgatoire.

Heureusement j’ai vite compris la chose, et je ne me confie guère plus à vous. La dernière fois j’ai eu le malheur de parler un peu, et j’ai eu un nouvel ami, Abilify, pas un ami invisible non non, juste la seule réponse que vous êtes capable de donner, maniant votre véloce stylo bic, le cachet de la pute faisant mal au foie.







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Cher moi,

Je peux me confier à toi ? S’il te plaît, dis oui, sinon je suis un peu mal barré !

En ce moment j’ai un tas de bestioles qui grouillent dans mon ventre, tu vois, par là, où y’a toute la merde, les égouts du corps, enfin, c’est là que je les place parce que je les sens ici venir des tripes, mais j’imagine aisément qu’elles sont liées au cerveau et encore + loin, à l’âme. On dirait les noiraudes dans Totoro, version pas gentilles.

Généralement j’essaie de les contenir en les étouffant avec un poumon, mais elles continuent de grouiller et veulent sortir, façon alien en déchirant le ventre victorieusement.

Alors je joue au papa, je leur dis : « petites bestioles grouillantes, vous me rendez dingue, vous m’obsédez, c’est pas possible ça, d’abord d’où vous venez ? Arf, je veux pas savoir. Voilà ce que je vous propose (et je sens leur excitation, leurs petits cris de boules de poils, petits critters facétieux) hum, je vous laisse sortir un peu, mais je choisis ce qu’on fait. C’est compris ? Je vous lâche et vous me sautez pas sur la tête, vous détruisez pas ma vie déjà si nulle, compris ? »

Les choses qui grouillent se mettent à piailler comme des corbeaux de l’enfer, mais elles sont contentes. Je les sors et je leur dis « on va faire de la musique ». Elles sont ravies, elles prennent les guitares, le synthé, elles font n’importe quoi, se défoulent, j’ai peur qu’elles détériorent les instruments. Hey, calmez vous ! Y’a des gens au dessus quand même. Une cacophonie s’installe, j’entends des chants satanistes, ça parle de chaos, d’apocalypse, de haine, de destruction de l’humanité.

Je leur dis que c’est intéressant. Très intéressant. Même si au fond de moi-même je sais que j’effacerai tout ce qu’ils ont fait car c’est inaudible. Je leur dis qu’ils sont assez sortis, qu’ils peuvent rentrer maintenant. Et comme je m’y attendais (avec une pointe de lassitude mélangée à de l’agacement), elles refusent. Elles assurent vouloir respecter le contrat, ne pas me bouffer, mais simplement pouvoir s’exprimer encore un peu.

Alors je leur dis «on va faire de l’écriture ». Et c’est parti, elles se mettent à écrire, comme de studieux élèves, chacune avec une copie, sauf qu’elles écrivent avec le sang de leur bras tailladé, et je me demande bien qui va nettoyer ça. LES BOULETS.

Je lis les copies, comme un prof, la honte. Alors comme d’hab, nihilisme, apologie du suicide, haine, haine, haine, et désespoir, désespoir, désespoir.

Je dis que c’est très bien tout ça, mais il faut penser à rentrer maintenant. Respecter un peu le contrat.

Ils répondent que le contrat ne stipulait aucune contrainte de temps. Je m’aperçois que je suis seul, et un peu piégé. Ils rôdent autour de moi. J’essaie de faire des blagues, pour les calmer, les occuper, mais je sens dans leur regard que leur seule envie est de me détruire.



Ils disent que je trouve leur travail intéressant et bien. Je réponds que je disais ça pour être gentil, mais ils pensent que j’étais sérieux, et que je suis des leurs, que j’ai juste à me laisser glisser un peu et leur tendre la main, les amener à une partie + haute que celle où ils s’entassent comme des malheureux à l’habitude.

J’ose leur demander ce qui se passerait si j’acceptais une telle demande.

Je sais que c’est dangereux, je suis pacifiste, mais avec eux, on ne peut rien prévoir, qui sait, je pourrais commettre des crimes et ils m’auraient bien mis dans la merde. Leur seule envie, c’est qu’au moment du tribunal, ils pourraient, s’ils le souhaitaient, se manifester violemment et affirmer leurs projets nihilistes radicaux envers l’humanité…au travers de ma bouche, et j’ai de gros doutes sur cette défense.

ALLEZ Y'A PU RIEN A FAIRE LA, RENTREZ CHEZ VOUS

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